<< Retour aux articles
Image

Bail à usage professionnel et clause pénale abusive

Afrique - Ohada
13/11/2020
Le déficit d’encadrement de la clause pénale est susceptible d’en faire une source d’enrichissement sans cause.
Dans cette affaire (CCJA, 1re ch., 28 mai 2020, n° 170/2020, S. SA c. Sieur H. A.), la requérante reprochait au jugement n° 66 du 16 mai 2017 du tribunal de commerce de Niamey la violation des dispositions des articles 1152 et 1229 du Code civil. Le tribunal l’avait condamnée à payer diverses sommes, se fondant sur la clause pénale contenue à l’article 15 du contrat prévoyant qu’en cas de résiliation anticipée, la partie qui en prend l’initiative doit payer à l’autre la somme correspondant aux loyers de la période restant à courir. Or, selon elle, une telle clause est abusive et encourt la nullité dans la mesure où elle est contraire à la règle en la matière qui consiste, en pareille hypothèse, à prévoir une indemnité forfaitaire.

Dans quelle mesure une clause pénale est-elle abusive ? tel est le problème juridique soulevé par l’arrêt n° 170/2020 du 28 mai 2020.

Dans un premier temps, pour retenir sa compétence, la CCJA se fonde sur le fait que le litige est relatif à un bail à usage professionnel régi par l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général (AUDCG). Dans un second temps, au visa de l’article 28 bis, 1er tiret, de son Règlement de procédure relatif à violation de la loi, elle conclut à la violation de l’article 1229 du Code civil. Elle infirme alors le jugement querellé en ces termes : « le tribunal n’a pas tiré les conséquences du déficit d’encadrement de la clause litigieuse, susceptible d’en faire une source d’enrichissement sans cause ».

Par la référence à l’enrichissement sans cause, la CCJA conclut implicitement au caractère abusif de la clause litigieuse. En effet, l’enrichissement sans cause, qualifié également d’action de in rem verso, dérive du « principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui » (Cass. req., 15 juin 1892, GAJC, t. 2, 12e éd., n° 239). C’est la première fois, à notre connaissance, que la CCJA se prononce sur le caractère abusif de la clause pénale.

Au Niger, l’article 1229 du Code civil dispose respectivement, en ses alinéas 1er et 2, que « La clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale » et qu’ « Il ne peut demander en même temps le principal et la peine, à moins qu’elle n’ait été stipulée pour le simple retard ». Ces dispositions résultent du Code civil hérité de la colonisation française.

Au regard de l’alinéa 2, la clause pénale peut être abusive lorsqu’elle permet au créancier de demander en même temps le principal et la peine. Cette situation intervient lorsque le créancier bénéficie en même temps de l'exécution de l'obligation primitive et de celle de l'obligation secondaire, c’est-à-dire celle résultant de la clause pénale. Ce qui est juridiquement inadmissible. En effet, la clause pénale étant l'évaluation anticipée, faite par les parties, du dommage que l'inexécution de l'obligation principale causera au créancier, si cette obligation est exécutée, le créancier n'éprouve aucun dommage. Ainsi, il doit choisir entre l’une et l'autre. Or, il ne résulte pas des pièces du dossier de l’arrêt commenté, ni des débats, que l’obligation principale a été exécutée.  

Certes, selon la CCJA, il résultait du débat devant les premiers juges que le bailleur avait repris la libre disposition de son local dès le 30 janvier 2017, date à laquelle il avait manifesté son intention d’y afficher l’annonce « A LOUER », et que le preneur l’avait accepté. Cependant, ce simple affichage, même à le considérer comme une reprise par le bailleur, ne constitue pas l’exécution totale ou partielle de l’obligation principale du preneur et ne permet pas en soi de réparer totalement ou partiellement le préjudice subi par le bailleur du fait de la rupture anticipée. Il ne peut en être autrement que lorsque les locaux ont été effectivement loués à un nouveau preneur pour tout ou partie de la durée restante du bail. Ce qui n’est apparemment pas le cas.  

Par ailleurs, l’arrêt commenté semble constituer une rupture avec la jurisprudence française sur trois points. Tout d’abord, selon cette jurisprudence, la révision de la clause pénale n’est qu’une faculté. Ainsi, le juge n’est pas tenu de modérer la peine forfaitairement convenue ; il ne s'agit que d'admettre « l'application pure et simple d'une convention » (Civ. 1re, 23 févr. 1982, Bull. civ. I, n° 85, RTD civ. 1982. 603, obs. Chabas F. ; Civ. 3e, 26 avr. 1978, Bull. civ. III, n° 160, R. p. 37, D. 1978. 349, RTD civ. 1978. 672, obs. Cornu G. ; 17 juill. 1978, Bull. civ. III, n° 294, D. 1979. IR 151, 2e esp., obs. Landraud D. ; Com. 26 févr. 1991, n° 89-12.081, Bull. civ. IV, n° 91 ; 19 nov. 1991, n° 90-15.465, Bull. civ. IV, n° 346 ; Civ. 3e, 12 janv. 1994, n° 91-19.540, Bull. civ. III, n° 5, Defrénois 1994. 804, obs. Mazeaud D. ; Civ. 1re, 26 juin 2001, n° 99-21.479, Bull. civ. I, n° 191 ; etc. V. spéc. Pimont S., « Clause pénale », in Répertoire de droit civil, Dalloz, 2010, actual. Sept. 2019, n° 79). Ensuite, le juge n’est pas tenu de vérifier la clause pénale : « l'article 1152 du Code civil ne subordonne pas la validité de la clause pénale à sa vérification le juge » (Civ. 2e, 5 avr. 1993, n° 91-19.979, Bull. civ. II, n° 142, D. 1994. 13, note Penneau A.). Enfin, l'appréciation de l'excès manifeste revient aux juges du fond (exemple : Soc. 24 mai 1978, Bull. civ. V, n° 385. V. aussi Pimont S., préc., n° 80).


KAMÉNA Bréhima, Maître de conférences agrégé à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (Mali)
 
Source : Actualités du droit