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Quel apport de la QPC en environnement ?

Environnement & qualité - Environnement
Public - Environnement
19/11/2020
À l’occasion d’un bilan sur les 10 ans d’existence de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dressé par le Conseil constitutionnel dans son hors-série d’octobre 2020, des enseignants-chercheurs en droit de l’environnement ont effectué une recherche analysant dix années de jurisprudence QPC en matière d’environnement. Bref exposé de ce travail passionnant.
Intitulée « Dix ans de QPC en matière d'environnement : quelle (r)évolution ? », cette recherche visait à mesurer l'apport du contrôle de constitutionnalité a posteriori en termes de promotion des droits et libertés applicables, de garanties pour le justiciable et d'intérêt pour l'ensemble des acteurs intervenant en matière d'environnement (associations, entreprises, administrations, juridictions...), afin d’identifier et de proposer des pistes d’évolution. Pour ce faire, les experts se sont fondés sur la pratique et l’expérience des acteurs concernés (magistrats, avocats, juristes…) mais aussi sur des enseignements de droit comparé.
 
Pour mener à bien cette recherche, trois angles d’analyse de la jurisprudence ont été retenus :
  •  les normes invocables en matière d’environnement ;
  • les techniques d’interprétation et de contrôle mises en œuvre par le Conseil constitutionnel ;
  •  les effets de la QPC sur le législateur et sur le justiciable. 
L'accent étant mis sur les points suivants :
  • analyse des mémoires rédigés par France Nature Environnement dans le cadre de procédures QPC afin de déceler d'éventuelles stratégies contentieuses ;
  • perspectives de contrôle par le Conseil constitutionnel de la non régression du niveau de protection de l'environnement dans le cadre de la QPC ;
  • présentation systématique des évolutions législatives suite aux QPC.
Après des précisions méthodologiques nécessaires pour permettre de poser précisément le cadre de cette recherche, le rapport nous livre ses principales conclusions.
 
Il soulève d’abord une invocabilité inachevée des normes constitutionnelles car si certaines dispositions de la Charte de l’environnement sont largement invoquées dans le cadre du mécanisme de la QPC et ne semblent pas poser de difficultés particulières (notamment son article 7 consacrant le principe participation du public), certaines dispositions sont considérées au contraire non invocables ou soumises à une invocabilité conditionnée (art. 6). Enfin, s’agissant de l’article 5 (principe de précaution), la question de son invocabilité demeure ouverte, le Conseil Constitutionnel s’étant pour l’heure abstenu d’y répondre. Toutefois, le rapport propose des arguments justifiant son invocabilité.
S’agissant des autres dispositions invoquées, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) est privilégiée (ses dispositions sont toutefois souvent utilisées pour contester des lois protectrices de l'environnement). Les articles 34 et 72 de la Constitution ainsi que certains objectifs de valeur constitutionnelle (clarté et intelligibilité de la loi, sauvegarde de l'ordre public) sont également mentionnés. En revanche, le Préambule de la Constitution de 1946 n’a encore jamais été invoqué.
S’agissant des normes internationales et européennes, bien que non-invocables, « il existe néanmoins des indices permettant de penser que le Conseil constitutionnel n'est pas insensible à l'influence de telles normes », précise le rapport. Ce dernier souligne, cependant, que dans certains États (en Argentine, au Brésil, en Italie ou encore en Belgique), ces normes sont pleinement intégrées dans les normes de référence du contrôle de constitutionnalité.
 
Dans un deuxième temps, le rapport relève une absence de spécificité des techniques d’interprétation et de contrôle déployées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC en matière d’environnement. Il note ainsi qu’« au-delà des hypothèses de contrôle sur le fondement de l'article 7 de la Charte, les QPC en matière environnementale aboutissent le plus souvent à une déclaration de conformité. Or, dans certaines décisions, cette conformité est conditionnée par une interprétation conforme (8 décisions), que ce soit par des réserves neutralisantes, constructives ou directives ».
En outre, selon les auteurs, « le pouvoir interprétatif de la Constitution pourrait être approfondi » (est évoqué ici le principe de non-régression appliqué par des décisions de cours constitutionnelles étrangères sans qu’aucun texte constitutionnel ne l’impose expressément).
Enfin, le rapport pointe du doigt une « motivation souvent elliptique des décisions du Conseil constitutionnel » ne permettant pas de préciser pleinement le sens des dispositions constitutionnelles, et la portée des dispositions législatives concernées. Ainsi, le Conseil constitutionnel n'a pas saisi l'opportunité, qu'il a pourtant eue, de préciser les modalités de la participation du public.
 
Quant aux effets, les auteurs les qualifient de « contrastés ». En effet, même si la QPC a permis d’« expurger l'ordre juridique de dispositions législatives contraires aux dispositions constitutionnelles », elle ne contribue pas toujours à promouvoir la protection de l’environnement. En outre, la pratique des effets différés des décisions QPC est fréquente. L’inertie du législateur, bien que rare, est néanmoins soulevée comme susceptible d’empêcher la préservation de l’intégrité des exigences constitutionnelles. Sur ce point, il est également noté que « le Conseil constitutionnel encadre en réalité fortement, dans certaines hypothèses, l'intervention du législateur » quand bien même la Haute juridiction n’a pas à indiquer au législateur comment « réparer » la norme.
Enfin, la législation fréquente par ordonnances en matière environnementale est également soulignée car cette pratique « ne permet évidemment pas aux représentants de la nation de s'exprimer sur le texte, alors même qu'il s'agit le plus souvent de mettre en œuvre le droit à la participation du public consacré par l'article 7 de la Charte ».
 
Fort de cette analyse et de ces constats, le rapport propose un certain nombre de pistes de réflexion :
 
— des dispositions constitutionnelles à mobiliser davantage : l’exploitation des dispositions constitutionnelles dans un sens favorable à l’environnement gagnerait à s’étendre à davantage de dispositions de la Charte de l’environnement et notamment à son article 1er ainsi qu’aux articles 2, 3, 4 et 6 et aux alinéas de son préambule. Des dispositions de la DDHC (art. 2, 4, 17) ou du Préambule de la Constitution de 1946 (protection de la santé, …) pourraient également être invoquées à l’appui de la protection de l’environnement. De ce fait, les auteurs précisent sur ce point qu’une révision de la Constitution (comme celle envisagée pour l’introduction d'une référence aux changements climatiques à l'article 34 ou 1er de la Constitution) ne paraît présenter qu’un intérêt limité, eu égard au nombre de dispositions existantes « mobilisables » ;
 
— des méthodes d'interprétation et de contrôle à explorer : le rapport propose ainsi de « faire évoluer les méthodes d'interprétation du juge constitutionnel » en s’inspirant, par exemple, des juges européens qui retiennent « une interprétation téléologique des textes, c'est-à-dire à la lumière de leurs finalités ». Une plus grande ouverture aux sources externes (internationales et européennes) pour l’interprétation des normes constitutionnelles ainsi qu’une interprétation plus dynamique des dispositions constitutionnelles (lecture combinée d’articles, prise en compte du principe de non régression) sont par ailleurs sollicitées.
 
— l'intelligibilité de la QPC à renforcer : en améliorant son accessibilité. Les auteurs notent en effet une procédure juridiquement « complexe, coûteuse et sans effet systématique sur le contentieux au fond » nourrissant le sentiment « que seuls les requérants disposant de moyens juridiques et financiers solides ont pu se spécialiser dans la pratique de la procédure ».
Reprenant des écueils identifiés au cours de leur analyse, ils rappellent également l’intérêt pour le requérant de disposer de décisions QPC aux motivations détaillées ainsi que de constater la réelle effectivité de ces décisions. « De plus, une information plus claire sur les conséquences d'une décision QPC peut contribuer à promouvoir son effet utile aux yeux des requérants. »
 
In fine, le rapport conclut positivement en soulignant que l’apport de la QPC est unanimement reconnu du point de vue des requérants. « La QPC a constitué une évolution majeure en matière de contentieux environnemental ». Il ajoute que, du point de vue du droit de l’environnement, la QPC a contribué à « nettoyer » l’ordre juridique. Toutefois, les « bémols » suivants demeurent : la mise en œuvre de la QPC n'aboutit pas forcément à un renforcement de la protection de l'environnement et le droit de l’environnement n’en ressort pas toujours clarifié.
 
Pour achever ces conclusions encourageantes, les auteurs citent une récente décision du Conseil constitutionnel :
« La décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 semble à cet égard ouvrir des perspectives intéressantes. La référence au préambule de la Charte de l'environnement permet au juge de faire de la protection de l'environnement un objectif de valeur constitutionnelle. Combiné avec la référence au Préambule de la Constitution de 1946 dont découle l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le nouvel objectif de protection de l'environnement devrait guider à l'avenir le législateur dans l'exercice de conciliation des libertés. »
 
Si tant est que le législateur consente à se saisir d’une telle opportunité…
Source : Actualités du droit