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Image  Marius Fraud et Andréa Robert, étudiants du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL

Audiovisuel : une proposition de loi pour « préserver la souveraineté audiovisuelle de notre pays »

Public - Droit public des affaires
17/05/2023
Une proposition de loi visant à regrouper les sociétés nationales de programmes au sein d’une holding et à réduire les asymétries qui pénalisent les acteurs français face aux plateformes américaines sera examinée au Sénat en première lecture les 12 et 13 juin prochains.
 
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris Dauphine-PSL

La proposition de loi déposée par le sénateur Laurent Lafon vise à défendre la souveraineté audiovisuelle face à la montée en puissance des plateformes de vidéos à la demande par abonnement américaines qui invisibilisent l’offre nationale gratuite, et des réseaux sociaux qui accélèrent la circulation des fausses informations.

Au cœur de ce texte, la notion de « souveraineté audiovisuelle » témoigne de la place prépondérante prise par l’objectif de souveraineté dans les secteurs régulés. Dans le secteur numérique, l’Assemblée nationale a mené en 2021 une Mission d’information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ». Dans le secteur de l’énergie, la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat comportait un titre III consacré à « la souveraineté énergétique ». Dans le secteur audiovisuel, le projet de loi dit « Riester » de 2019, abandonné à cause de la crise sanitaire, visait également à défendre « la souveraineté culturelle à l’ère du numérique ».

La présente proposition de loi s’inspire pour partie de ce dernier. Elle s’articule en deux chapitres, l’un consacré à la réforme de l'audiovisuel public (art. 1 à 9), l’autre à la réduction des asymétries entre les acteurs de l'audiovisuel et de la communication en ligne (art. 10 à 15).

Réformer l’audiovisuel public

La création d’une holding regroupant les sociétés nationales de programmes

Le premier chapitre vise à créer, à partir du 1er janvier 2024, une société holding, France Médias, détenue intégralement par l’État et regroupant les sociétés filiales France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (art. 1 et 2), transformé pour ce faire en société (art. 7).

Cette holding a pour objectif de faciliter la définition d’un projet stratégique unique pour l’audiovisuel public et de renforcer les mutualisations entre les sociétés tout en préservant leur identité. De cette manière, la proposition de loi concrétise l'idée d’un rapprochement des sociétés de l’audiovisuel public défendue depuis plusieurs années dans de nombreux rapports parlementaires et s’inspire fortement du projet de loi dit « Riester ».

La gouvernance et le financement de l’audiovisuel public

La gouvernance et le financement de la nouvelle entité et de ses filiales sont précisés.

À ce titre, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) perd le pouvoir de nomination des présidents des sociétés nationales de programmes, attribution qu’elle avait recouvrée en 2013 (L. n° 2013-1028, 15 nov. 2013) après l’avoir perdue en 2009 (L. n° 2009-258, 5 mars 2009). La proposition de loi prévoit en effet que le président de la holding est nommé par décret en conseil des ministres sur proposition du conseil d’administration, après avis conforme de l'Arcom et avis des commissions parlementaires (art. 3). Aussi, le régulateur perd son pouvoir d’avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) – renommé « convention stratégique pluriannuelle » – et son exécution annuelle (art. 5).

S’agissant du financement de l’audiovisuel public, la proposition de loi tente d’exclure toute budgétisation pour la période postérieure au 31 décembre 2024. Elle prévoit en effet que l’audiovisuel public est principalement financé par « une ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l’inflation » (art. 5).

Alors que les réflexions sur les missions et le financement de l’audiovisuel public sont encore en cours à l’Assemblée nationale dans le cadre de la Mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public, la proposition des sénateurs vise à faire de ce dernier un instrument au service de la défense de la souveraineté audiovisuelle. Regroupé, il doit être capable de s’imposer face aux autres acteurs du secteur, équipementiers et plateformes américaines concurrentes. Défendre la souveraineté audiovisuelle suppose également de réduire les asymétries d’obligations qui persistent entre ces dernières et les acteurs traditionnels français, qu’ils soient publics ou privés.

Réduire les asymétries de concurrence

Afin de tenir compte de la révolution numérique dans le secteur audiovisuel, la France a étendu certaines règles applicables aux services de médias audiovisuels aux plateformes de partage de vidéos (v. D. n° 2021-793, 22 juin 2021 ; D. n° 2021-1922, 30 déc. 2021). En dépit de ces avancées, des asymétries de régulation persistent entre les acteurs linéaires et délinéarisés.
 
Les services linéaires désignent les services audiovisuels traditionnels qui proposent des contenus accessibles uniquement au moment de leur diffusion. Par opposition, les services délinéarisés désignent les nouveaux services dit « à la demande » qui permettent à l’utilisateur de visionner quand il le souhaite un programme sélectionné dans un catalogue, sur le support de son choix.

La proposition de loi vise donc à soumettre les plateformes en ligne à de nouvelles obligations et à assouplir les contraintes pesant sur les acteurs historiques nationaux afin de garantir un véritable level playing field (terrain de jeu égal) entre les différents acteurs de l’audiovisuel et de la communication en ligne.

De nouvelles obligations pour les plateformes

La proposition de loi étend ainsi aux plateformes l’obligation de céder aux chaînes gratuites de la TNT certains droits relatifs à des « événements sportifs d’importance majeure », pour les mettre sur un pied d’égalité avec les chaînes payantes et favoriser le maintien de programmes sportifs sur les chaînes gratuites, de plus en plus concurrencées par les plateformes qui, dès lors qu’elles sont des diffuseurs extérieurs à l’Union européenne, ne pourront plus se voir attribuer plus des deux tiers de droits de diffusion d’une même compétition (art. 10).

Afin de créer les conditions favorables au développement de projets industriels permettant aux acteurs traditionnels de s’adapter aux nouvelles conditions de concurrence imposées par l’arrivée des plateformes, la proposition de loi assouplit l’interdiction, introduite en 2016 (par L. n° 2016-1524, 14 nov. 2016, art. 15), de céder une chaîne dans les cinq ans qui suivent la délivrance d’une autorisation d’émettre sur la TNT, en réduisant ce délai, jugé « disproportionné », à deux ans (art. 12).

À cette première série de mesures s’ajoutent des dispositions destinées à renforcer l’attractivité et la compétitivité des acteurs nationaux, publics et privés.

Des acteurs traditionnels nationaux plus compétitifs

Pour assurer une plus grande visibilité des éditeurs français sur les téléviseurs connectés et sortir de la logique marchande qui conduit les équipementiers à privilégier les grandes plateformes en raison de leur puissance financière, la proposition de loi modifie l’article 20-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 (Loi dite « Léotard ») relatif à l’obligation de mise en avant des services d’intérêt général (SIG) sur les interfaces utilisateurs. D’une part, elle étend la définition des SIG à l’ensemble des services et programmes édités par les chaînes à accès libre de la TNT. D’autre part, la proposition de loi précise que ces SIG devront recevoir le même traitement que les services et programmes les mieux exposés sur les interfaces utilisateurs (art. 11).

Les sénateurs cherchent aussi à équilibrer le partage de la valeur entre diffuseurs et producteurs, en excluant le régime des mandats de commercialisation de la définition de la production audiovisuelle indépendante (L. n° 86-1067, 30 sept. 1986, art. 71-1) pour inciter les chaînes à investir davantage dans des productions de qualité susceptibles d’être exportées et de participer au rayonnement de la création française dans une logique de souveraineté (art. 13).

Enfin, pour renforcer l’attractivité de la télévision et de la radio numérique terrestre, la proposition de loi étend le déploiement de la norme HbbTV ([Hybrid broadcast broadband TV] ; art. 14), ainsi que l’utilisation de la norme DAB+ ([Digital Audio Broadcasting] ; art. 15).

Rédigé par Marius Fraud et Andréa Robert, étudiants du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL
Source : Actualités du droit