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La semaine de la procédure pénale

Pénal - Procédure pénale
02/11/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en procédure pénale, la semaine du 26 octobre 2020.
Acte de procédure – nullité – retrait
« Le 7 février 2018, un juge d’instruction de la juridiction inter-régionale spécialisée de Rennes a été saisi d’un dossier d’information, ouvert du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants.
Le 8 février 2018, un juge d’instruction de Nantes s’est dessaisi au profit du magistrat rennais d’un dossier ouvert à son cabinet, et portant sur des faits de même nature.
M. X... a été mis en examen dans cette information le 22 mai 2018.
Le 22 novembre 2018, son avocat a saisi la chambre de l’instruction d’une demande en nullité.
 
Vu l’article 174 alinéa 2 du Code de procédure pénale
Selon ce texte, lorsque la chambre de l’instruction constate la nullité d’un acte de la procédure, doivent être annulées par voie de conséquence les pièces qui ont pour support nécessaire l’acte vicié.
Lorsqu’une ordonnance de dessaisissement d’un dossier d’information est annulée, les pièces de ce dossier ne peuvent subsister dans celui où elles ont été irrégulièrement versées.
Après avoir prononcé, en l’absence de réquisitions de dessaisissement du procureur de la République, l’annulation de l’ordonnance de dessaisissement, en date du 8 février 2018, du juge d’instruction de Nantes, au profit du juge d’instruction de la JIRS de Rennes, et du réquisitoire supplétif délivré le 9 février 2018, ayant pour support nécessaire la procédure d’instruction nantaise transmise dans le cadre de ce dessaisissement irrégulier, la chambre de l’instruction a refusé d’annuler d’autres pièces de la procédure.
L’arrêt attaqué relève que le magistrat instructeur de la JIRS était déjà saisi et que le réquisitoire supplétif du 9 février 2018 saisissant le juge rennais était superfétatoire, les éléments de la procédure nantaise visant les mêmes faits : même trafic, période de temps englobée par celle dont le magistrat rennais était saisi et mêmes protagonistes.
Les juges concluent qu’il n’y a pas lieu d’ordonner le retrait de l’enquête préliminaire et de l’instruction suivie à Nantes cotées D102 à D332, ces pièces étant régulières et la chambre de l’instruction ne pouvant, dans le cadre du contentieux des nullités, ordonner le retrait que des seuls actes de procédure annulés.
En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait d’annuler le versement des dites pièces ainsi que, le cas échéant, celles qui avaient pour support nécessaire les actes viciés, et d’ordonner leur retrait du dossier, la chambre de l’instruction a violé le texte susvisé ».
Cass. crim., 28 oct. 2020, n° 20-81.615, P+B+I *
 

Partie civile – interprète – prélèvement biologique
« Le 2 février 2019, une manifestation non déclarée s’est déroulée dans la nuit, à Bayonne, à l’initiative du mouvement dit des : « gilets jaunes ». Des manifestants ont jeté des projectiles sur les policiers présents. Un groupe d’une cinquantaine de personnes a causé des dégradations au commissariat de police : caméras de surveillance arrachées, graffitis sur les murs, projectiles lancés sur les vitres, banderoles embrasées avec un début d’incendie, destruction de la guérite d’entrée, visiophone endommagé, utilisation d’un fumigène. Avec le concours de forces mobiles, les policiers ont procédé à plusieurs interpellations, dont celle de Mme X....
Placée en garde à vue, celle-ci a refusé de se soumettre au prélèvement biologique destiné à recueillir son empreinte génétique, ainsi qu’au relevé de ses empreintes digitales.
Elle a été traduite devant le tribunal correctionnel de Bayonne, selon la procédure de comparution immédiate, pour dégradations volontaires d’un bâtiment public en réunion, refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à identifier son empreinte génétique et refus de se soumettre à des relevés signalétiques.
Par jugement du 25 février 2019, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité présentées par Mme X..., tirées des conditions de son placement en garde à vue, l’a déclarée coupable des faits visés à la prévention, et l’a condamnée à quatre mois d’emprisonnement pour les faits de dégradations aggravées et de refus de se soumettre aux relevés signalétiques, ainsi qu’à deux mois d’emprisonnement pour refus de se soumettre au prélèvement biologique. Le tribunal a prononcé sur les intérêts civils.
La prévenue a relevé appel de ce jugement et le procureur de la République a formé appel incident.
 
Sur le moyen, pris en ses quatrième et huitième branches
La notification des droits résultant de son placement en garde à vue a été faite à Mme X... avec l’assistance d’un interprète en langue italienne, qui a procédé à une traduction par téléphone. Il ne résulte pas des pièces de procédure que la prévenue ait prétendu, devant les juges du fond, que la procédure était irrégulière, faute de procès-verbal expliquant les raisons ayant empêché la venue de l’interprète au commissariat de police.
Par ailleurs, la demanderesse n’a pas soutenu que le procureur de la République n’aurait pas été informé des motifs de son placement en garde à vue et de la qualification des faits qui lui avait été notifiée.
Il en résulte que ces griefs sont irrecevables comme tardifs.
 
Sur le moyen pris, en ses trois premières branches et en sa septième branche
Pour réclamer l’annulation de la procédure, la demanderesse a prétendu qu’à l’occasion de son placement en garde à vue, ses droits lui avaient été notifiés de manière tardive, et que le procureur de la République n’avait pas été avisé aussitôt de la mesure prise envers elle.
Pour écarter ces griefs l’arrêt constate que Mme X... a été interpellée et placée en garde à vue à 22 heures 10, que le procureur de la République en a été avisé à 23 heures 04, et que ses droits lui ont été notifiés à 23 heures 20, avec l’assistance d’un interprète.
L’arrêt ajoute que les troubles survenus à Bayonne ce soir-là à l’occasion d’une manifestation, marqués par des violences inquiétantes, des dégradations graves du commissariat de police et de nombreuses interventions des forces de l’ordre pour disperser des groupes de personnes dangereuses, avaient créé un climat de tension extrême et menacé directement la sécurité des policiers. La cour d’appel en déduit l’existence de circonstances insurmontables, qui alliées à la nécessité de recourir à un interprète, justifient les délais dans lesquels les formalités liées au placement en garde à vue ont été accomplies.
Par ces motifs dénués d’insuffisance et relevant de son appréciation souveraine, qui caractérisent l’existence de circonstances insurmontables et expliquent leurs conséquences, la juridiction du second degré a justifié sa décision sans méconnaître les textes invoqués.
Ainsi les griefs ne peuvent-ils être admis.
 
Pour réclamer l’annulation de la procédure, Mme X... a prétendu que le formulaire d’information des droits inhérents à son placement en garde à vue ne lui a pas été remis lors de son interpellation, mais seulement lors de la notification de ses droits.
Pour écarter cette exception, l’arrêt attaqué énonce que la remise de ce formulaire a été régulièrement faite lors de la notification de ses droits et n’avait pas à l’être préalablement.
En prononçant ainsi, la juridiction du second degré a fait l’exacte application de la loi.
En effet, il résulte des articles 63-1 et 803-6 du Code de procédure pénale que le formulaire, prévu par ces dispositions et destiné à chaque personne soumise à une mesure de privation de liberté, doit être remis, en cas de placement en garde à vue, lors de la notification des droits inhérents à cette mesure.
Le moyen ne peut, dès lors, être admis.
 
Sur le deuxième moyen
Selon l’article 706-54 du Code de procédure pénale, les empreintes génétiques des personnes à l’égard desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions visées à l’article 706-55 du même Code sont conservées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques.
L’article 706-56 de ce Code réprime le refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’analyse de l’empreinte génétique devant être ainsi conservée.
Les personnes qui n’ont pas été condamnées pour l’infraction à l’occasion de laquelle ce prélèvement a été fait peuvent demander au procureur de la République l’effacement de leur empreinte génétique du fichier et disposent d’un recours juridictionnel effectif en cas de rejet de leur demande, ou de défaut de réponse, ce recours étant prévu par l’article 706-54, alinéa 2, du Code de procédure pénale, et son exercice régi par les articles R. 53-13-2 à R. 53-13-16 du même Code.
Il résulte de ces textes :
- d’une part, qu’une personne placée en garde à vue, se trouvant dans la situation prévue au § 23, précité, est tenue de se soumettre au prélèvement prévu au § 24, son refus étant pénalement sanctionné ;
- d’autre part, qu’en raison du droit au recours décrit au § 25, ni ce prélèvement ni la sanction prévue en cas de refus ne représentent une ingérence excessive dans le droit au respect de sa vie privée et familiale, reconnu à toute personne par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
- enfin, que la relaxe de l’infraction à l’occasion de laquelle le prélèvement a été effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre à ce prélèvement ;
Pour reconnaître Mme X... coupable de refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à identifier son empreinte génétique, la cour d’appel relève qu’elle a refusé ce prélèvement lors de sa garde à vue, alors que les constatations immédiates des policiers, lors de son interpellation, la désignaient comme ayant participé aux dégradations du commissariat de police de Bayonne, infraction entrant dans les prévisions de l’article 706-55 du Code de procédure pénale.
L’arrêt ajoute que la relaxe prononcée par la suite pour cette infraction, compte tenu des résultats de l’enquête, n’anéantit pas l’existence, au début de celle-ci, d’indices graves et concordants d’y avoir participé, ce qui justifiait le prélèvement biologique destiné à l’identification des empreintes génétiques de la demanderesse, dont le refus est pénalement réprimé. Il retient encore que la faculté, ouverte à la prévenue, d’obtenir l’effacement des données la concernant, enregistrées au fichier des empreintes génétiques, exclut la violation invoquée de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En prononçant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes susvisés et justifié sa décision.
Le moyen doit donc être écarté.
 
Sur le troisième moyen
L’article 55-1 du Code de procédure pénale réprime le refus, par une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques nécessaires à l’alimentation et à la constitution des fichiers de police, en particulier à la prise de ses empreintes digitales.
La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, si la prise d’empreintes digitales et leur conservation dans un fichier constituent une ingérence dans le droit reconnu à toute personne au respect de sa vie privée, prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, cette ingérence est, en France, prévue par la loi - l’article 55-1 précité et le décret n°87-249 du 8 avril 1987 - les modalités de consultation du fichier étant strictement encadrées (CEDH K. C. France, 18 avril 2013, Requête n°19522/09). Par cette décision, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, cependant, que les modalités de collecte et de conservation des données prévues en France étaient insuffisantes au regard des exigences de la Convention, les données pouvant être prélevées en cas de simple contravention, et conservées pendant une durée excessive, sans garantie de leur effacement pour les personnes reconnues innocentes.
Par le décret n° 2015-1580 du 2 décembre 2015, tirant les conclusions de cette décision, la France a modifié le décret précité du 8 avril 1987, pour exclure le relevé d’empreintes digitales en matière contraventionnelle, limiter la durée de leur conservation et prévoir leur effacement du fichier en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.
Il en résulte que :
- d’une part, l’obligation, pour une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit, de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales, de même que la sanction prévue en cas de refus, ne constituent pas une ingérence excessive dans le droit au respect de sa vie privée et familiale, reconnu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
- d’autre part, la relaxe de l’infraction à l’occasion de laquelle le relevé a été effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre à ce prélèvement.
Pour reconnaître Mme X... coupable de refus de se soumettre à des relevés signalétiques, la cour d’appel relève qu’elle a refusé la prise de ses empreintes digitales lors de sa garde à vue, alors que les constatations immédiates des policiers, lors de son interpellation, la désignaient comme ayant participé à la commission d’un délit de dégradations volontaires.
L’arrêt ajoute que la relaxe prononcée par la suite pour cette infraction, compte tenu des résultats de l’enquête, n’anéantit pas l’existence, au début de celle-ci, d’indices graves et concordants d’y avoir participé, ce qui justifiait le recueil de ses empreintes digitales, dont le refus est pénalement réprimé.
En l’état de ces motifs déduits de son appréciation souveraine, la cour d’appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen, lequel ne peut, dès lors, être accueilli.
 
Mais sur le moyen relevé d’office, mis dans le débat dans le rapport, pris de la violation de l’article 38 modifié de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 ;
Vu ledit article ;
Aux termes de ce texte, toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée, à peine de nullité, par ou contre l’agent judiciaire de l’Etat.
Il résulte des pièces de procédure que le commissariat central de police de Bayonne, représenté par le commissaire de police, s’est constitué partie civile et a réclamé à Mme X..., ainsi qu’à d’autres personnes poursuivies, l’indemnisation des dégradations causées au commissariat.
Après avoir reconnu la demanderesse coupable de ces dégradations, le tribunal correctionnel a admis la recevabilité de la constitution de partie civile du commissariat de police et condamné Mme X... à lui verser des dommages et intérêts.
L’arrêt attaqué, qui a relaxé cette prévenue pour le délit de dégradations, a confirmé les dispositions du jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile précitée, tout en rejetant les demandes indemnitaires présentées contre la demanderesse.
En admettant ainsi la recevabilité de la constitution de partie civile du commissariat de police, alors que l’exercice de l’action civile au nom d’un service de l’Etat est réservé, en l’absence de disposition particulière de nature législative, à l’agent judiciaire de l’Etat, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé.
Il en résulte que la cassation est encourue.
 
Portée et conséquences de la cassation
La cassation aura lieu par voie de retranchement de l’arrêt de ses seules dispositions civiles ».
Cass. crim., 28 oct. 2020, n° 19-85.812, P+B+I *
 
 

 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 2 décembre 2020.
 
 
 
Source : Actualités du droit