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Renforcement du dispositif de gel des avoirs et interdiction de mise à disposition : l'ordonnance publiée

Pénal - Informations professionnelles
Affaires - Pénal des affaires
05/11/2020
Une ordonnance renforçant le dispositif de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition a été publiée le 4 novembre 2020. Objectif : une application immédiate et effective de la mesure. 
Prise sur le fondement de l’article 203 de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (L. n° 2019-486, 22 mai 2019, JO 23 mai), l’ordonnance publiée le 4 novembre 2020 a pour objectif « d’assurer une mise en œuvre plus efficace, plus systématique et plus rapide des mesures de gel des avoirs » comme le précise le compte-rendu du conseil des ministres du 4 novembre 2020. En effet, l’article 203 de la loi Pacte autorisait le Gouvernement à prendre une ordonnance pour « compléter le dispositif existant de gel des fonds et ressources économiques, autoriser l'accès aux fichiers tenus par la direction générale des finances publiques pertinents pour les besoins de l'exercice de leurs missions par les agents des services de l'Etat chargés de mettre en œuvre ces décisions de gel et d'interdiction de mise à disposition et créer un dispositif ad hoc de transposition sans délai des mesures de gel prises par le Conseil de sécurité des Nations Unies ».
 
L’ordonnance renforçant le dispositif de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition a donc été publiée. Ce dispositif permet de prévenir des activités criminelles ou terroristes en bloquant l’accès aux comptes bancaires et système financier ou en interdisant l’accès aux ressources économiques des personnes concernées. Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a précisé que 2 350 mesures de gel des avoirs sont actuellement en vigueur dont 637 visant des personnes et entités impliquées dans des actes de terrorisme. L’ordonnance vient donc assurer une application immédiate et effective des mesures.
 
Rappelons qu’une ordonnance publiée le 13 février 2020 a été prise sur le fondement du même article. Elle avait pour objet la transposition de la cinquième directive anti-blanchiment 2018/843 modifiant elle-même la directive 2015/849  Elle permet également de compléter la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment 2015/849 ainsi que rationaliser et renforcer la cohérence de notre dispositif national de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Ord. n° 2020-115, 12 févr. 2020, JO 13 févr., v. Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : la transposition de la 5e directive effectuée, Actualités du droit, 14 févr. 2020).

Que faut-il retenir de l’ordonnance du 4 novembre 2020 ?
 

De nouvelles obligations LCB-FT
L’article 1er de l’ordonnance vient modifier l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier pour préciser les obligations des agents immobiliers et des marchands d’or et métaux précieux en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
 
L’article suivant modifie les articles L. 561-36, L. 561-36-2, L. 561-36-3, L. 561-37 et L. 561-38 portant sur les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi que les autorités de contrôle et les sanctions administratives. Concrètement l’ordonnance, précise le rapport au président de la République :
- « dote toutes les autorités de contrôle LCB-FT d'une compétence pour contrôler le respect par les personnes assujetties des obligations prévues par les règlements européens portant mesures restrictives pris en application des articles 75 ou 215 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » ;
- introduit les sanctions dont sont passibles ces entités en cas de manquement ;
- et transfère « la responsabilité du contrôle du respect des obligations LCB-FT des marchands d'or et métaux précieux à la direction générale des douanes et droits indirects ».
 
Rappelons que les articles 215 et 75 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne organisent deux voies pour l’intervention de l’Union en matière de lutte contre le terrorisme. La première voie prend appuie sur la politique étrangère et de sécurité commune (article 215) et la seconde sur les dispositions relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice (article 75).
 
 
Application sans délai des décisions de gel du Conseil de sécurité des Nations unies
Dans le chapitre II du titre VI du livre V du Code, relatif aux dispositions relatives au gel des avoirs et à l’interdiction de mise à disposition, est inséré l’article L. 562-3-1. Ce dernier prévoit que le ministre chargé de l’économie, conjointement avec le ministre des affaires étrangères, peuvent rendre applicables sans délai les décisions de gel des avoirs du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le nouvel article précise que :
- « les fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales ou de toute autre entité désignées sur le fondement de ces résolutions sont gelés à compter de la publication par le ministre chargé de l'économie des éléments d'identification de ces personnes ou entités et dans les conditions mentionnées au second alinéa de l'article L. 562-9 » ;
- et « Ces fonds et ressources sont gelés pour une période de dix jours ouvrables, ou, si elle intervient avant le terme de cette période, jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement européen d'exécution rendant applicables les désignations ».
 
 
Élargissement de l’obligation de respecter les mesures de gel
L’article 4 de l’ordonnance modifie les articles L.562-4 à L. 562-12 du Code portant sur la mesure de gel.
 
Le nouvel article L. 562-4 du Code, dont les modalités d’application seront précisées par décret en Conseil d’État, liste les personnes devant appliquer sans délai les mesures de gel et les interdictions de mise à disposition ou d’utilisation et devant informer le ministre chargé de l’Économie. Il s’agit :
- de toute personne physique se trouvant sur le territoire national ;
- des personnes mentionnées à l'article L. 561-2 et toute autre personne morale constituée ou établie selon le droit national ou réalisant une opération sur le territoire national, dans le cadre de son activité.
 
Les obligations sont renforcées. En effet, un nouvel article L. 562-4-1 dispose notamment que les personnes listées à l’article L. 561-2 « mettent en place une organisation et des procédures internes pour la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition ou d'utilisation des fonds ou ressources économiques (…), ainsi que l'interdiction de contournement de ces mesures ». Des mesures de contrôle veillant à l’application des obligations devront aussi être mises en place.
 
L’article 562-12 du Code monétaire et financier, déjà modifié par la récente et importante ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 (Ord. n° 2020-115, 12 févr. 2020, JO 13 févr., v. Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : la transposition de la 5e directive effectuée, Actualités du droit, 14 févr. 2020), est aussi réécrit. Est rétabli que « Le secret bancaire ou professionnel ne fait pas obstacle à l'échange d'informations entre les personnes et organismes mentionnés à l'article L. 562-4 et les services de l'Etat chargés de préparer ou de mettre en œuvre toute mesure de gel (…) lorsque ces informations permettent de vérifier l'identité des personnes concernées directement ou indirectement par cette mesure ou de surveiller les opérations portant sur les fonds et ressources économiques gelés ». Les autorités d’agrément et de contrôle doivent également communiquer aux services de l’État les informations susceptibles de se rapporter à une violation de gel des avoirs.
 
 
La mesure de gel facilitée en outre-mer
Ensuite, l’article 6 de l’ordonnance publiée le 5 novembre 2020 ajoute l’article L. 713-6 au Code qui permet au ministre chargé de l’économie de « mettre en place un mécanisme simplifié d'application des mesures de gel des avoirs prises sur fondement de règlement européens à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna » souligne le rapport.
 
Les deux articles suivants étendent toutes les modifications prévues par ladite ordonnance en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna.
 

Précisions sur la transposition de la cinquième directive anti-blanchiment
L’article 9 de la présente ordonnance vient modifier l’article 18 de celle du 12 février 2020 (Ord. n° 2020-115, 12 févr. 2020, JO 13 févr., v. Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : la transposition de la 5e directive effectuée, Actualités du droit, 14 févr. 2020). Cet article 18 prévoit de différer l’entrée en vigueur des dispositions relatives à l'Autorité nationale des jeux ainsi qu'au fichier des comptes bancaires.
 
L’ordonnance, en ajoutant un alinéa, étend le délai d’application, fixé au 21 décembre 2024 de « l'obligation de déclaration aux fichiers ultramarins des mandataires et bénéficiaires effectifs des personnes morales et des coffres forts, en cohérence avec ce qui est prévu pour le Fichier des comptes bancaires et assimilés sur le territoire métropolitain » note le rapport.
 

Accès aux bases de données de l’administration fiscale
L’article 10 de l’ordonnance du 4 novembre 2020 vient lui modifier le Livre des procédures fiscales. L’article L. 135 T est modifié en ce qu’il prévoit dorénavant que les services de l’État chargés de préparer ou de mettre en œuvre toute mesure de gel des avoirs devront être informés de toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de ces missions par l’administration fiscale. Mais surtout, les agents disposent « d'un droit d'accès direct aux fichiers contenant les informations mentionnées aux articles 1649 A et 1649 ter du code général des impôts, ainsi qu'aux données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit et aux actes relatifs aux sociétés ».
 
De plus, cet article introduit une dérogation au secret fiscal au profit de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) : « L'Institut national de la propriété intellectuelle reçoit de l'administration fiscale les seules données relatives aux bénéficiaires effectifs d'un trust ou d'une fiducie détenues par celle-ci ».
 

Contrôle des obligations LCB-FT des experts-comptables
L’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert comptable est elle aussi modifier. Elle précise les modalités de contrôle des obligations LCB-FT de la profession
 
 
Les manquements sanctionnés
Enfin l’article 12 modifie l’article 459 du Code des douanes qui prévoit au 1 bis que « Est puni des mêmes peines le fait, pour toute personne, de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par la réglementation communautaire prise en application des articles 75 ou 215 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou par les traités et accords internationaux régulièrement approuvés et ratifiés par la France ».
 
 
Le projet de loi de ratification attendu
À noter que l’article 203 prévoit qu’ « Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de chaque ordonnance ».
 
 
 
Source : Actualités du droit