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Prélèvements biologiques, relevés signalétiques et refus

Pénal - Procédure pénale
06/11/2020
Dans un arrêt du 28 octobre 2020, la Cour de cassation vient rappeler les règles concernant les prélèvements biologiques et les relevés signalétiques. Elle se penche également sur l’exercice de l’action civile au nom d’un service de l’Etat. 
Une manifestation non déclarée s’est déroulée dans la nuit du 2 février 2019 à l’initiative du mouvement des « gilets jaunes ». Les policiers présents ont reçu des projectiles et le commissariat de police a été dégradé. Les policiers ont procédé à plusieurs interpellations, dont celle d’une femme.
 
Placée en garde à vue, elle refuse de se soumettre au prélèvement biologique permettant de recueillir son empreinte génétique et au relevé de ses empreintes digitales.
 
Elle est finalement jugée en comparution immédiate pour dégradations volontaires d’un bâtiment public en réunion, refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à identifier son empreinte génétique et refus de se soumettre à des relevés signalétiques. L’intéressée présente des exceptions de nullité tirées des conditions de son placement en garde à vue. Mais le tribunal correctionnel les rejette et la condamne à 4 mois d’emprisonnement pour les faits de dégradations aggravées et de refus de se soumettre aux relevés signalétiques et à deux mois d’emprisonnement pour refus de se soumettre au prélèvement biologique. Il se prononce sur les intérêts civils.
 
La manifestante interjette appel. Le procureur de la République forme un appel incident.
 
La Cour de cassation va alors se prononcer sur :
  • des exceptions de nullité ;
  • le refus de se soumettre au prélèvement biologique ;
  • le refus de se soumettre à des relevés signalétiques ;
  • la constitution de partie civile du commissariat de police.
 
 
Des demandes d’annulation du placement en garde à vue et des actes subséquents
La demanderesse a soulevé plusieurs exceptions de nullité tendant à l’annulation de son placement en garde à vue et des actes subséquents.
 
Elle prétend notamment que ses droits lui ont été notifiés de manière tardive et que le procureur de la République n’a pas été avisé aussitôt de la mesure prise envers elle. La Cour d’appel a précisé que la manifestante a été placée en garde à vue à 22 heures 10, que le procureur de la République a été avisé à 23 heures 04 et que ses droits lui ont été notifiés à 23 heures 20 avec l’assistance d’un interprète. Elle déduit également, qu’au regard de la manifestation marquée par des violences inquiétantes, « l’existence de circonstances insurmontables, qui alliées à la nécessité de recourir à un interprète, justifient les délais dans lesquels les formalités liées au placement en garde à vue ont été accomplies ». Cette décision est validée par la Cour de cassation.
 
L’intéressée prétend également que le formulaire d’information des droits inhérents à son placement en garde à vue ne lui a été remis que lors de la notification de ses droits. Les juges du second degré soulèvent que la remise a été régulièrement faite lors de la notification et n’avait pas à l’être préalablement. La Cour de cassation valide : « il résulte des articles 63-1 et 803-6 du Code de procédure pénale que le formulaire, prévu par ces dispositions et destiné à chaque personne soumise à une mesure de privation de liberté, doit être remis, en cas de placement en garde à vue, lors de la notification des droits inhérents à cette mesure ».
 
 
Le refus de se soumettre au prélèvement biologique
La demanderesse conteste le fait qu’elle ait été déclarée coupable pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse et l’identification de son empreinte génétique par une personne soupçonnée d’infraction entraînant l’inscription au FNAEG alors qu’elle a été relaxée des chefs de dégradation de bien public en réunion.
 
La Cour d’appel note que la prévenue a refusé ce prélèvement alors que les constatations immédiates des policiers la désignaient comme ayant participé aux dégradations du commissariat de police, « infraction entrant dans les prévisions de l’article 706-55 du Code de procédure pénale ». Et affirme que, même si une relaxe a été prononcée pour cette infraction, cela n’anéantit pas l’existence, au début de celle-ci, d’indices graves et concordants d’y avoir participé. Ainsi, le prélèvement biologique est justifié, et le refus est pénalement réprimé.
 
La Cour de cassation valide. Elle note que :
  • l’article 706-54 du Code de procédure pénale prévoit que « les empreintes génétiques des personnes à l’égard desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions visées à l’article 706-55 du même Code sont conservées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques » ;
  • l’article 706-56 du même Code punit le refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’analyse de l’empreinte génétique devant être conservée.
 
La Haute juridiction souligne que les personnes qui ne sont finalement pas condamnées pour l’infraction à l’occasion de laquelle ce prélèvement a été fait peuvent demander l’effacement de leur empreinte génétique du fichier au procureur de la République et en cas de rejet de leur demande ou de défaut de réponse, elles disposent d’un recours juridictionnel effectif prévu par l’article 706-54, alinéa 2, du Code de procédure pénale, et son exercice régi par les articles R. 53-13-2 à R. 53-13-16 du même Code.
 
Concrètement, la Cour conclut que :
  • le refus d’une personne, pourtant tenue de se soumettre au prélèvement, est pénalement sanctionné ;
  • en raison du droit au recours, « ni ce prélèvement ni la sanction prévue en cas de refus ne représentent une ingérence excessive dans le droit au respect de sa vie privée et familiale, reconnu à toute personne par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme » ;
  • la relaxe de l’infraction à l’occasion de laquelle le prélèvement devait être effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre au prélèvement.
 
 
Le refus de se soumettre à des relevés signalétiques
La demanderesse critique l’arrêt en ce qu’il l’a déclaré coupable de refus de se soumettre à des relevés signalétiques, notamment par prise d’empreintes digitales, palmaires ou de photographies nécessaires à l’alimentation et la consultation des fichiers de police selon les règles propres à chacun de ces fichiers, alors qu’elle a été relaxée du chef de dégradation. En effet la cour d’appel note que les constatations des policiers la désignaient comme ayant participé à la commission d’un délit de dégradations volontaires, infraction justifiant le recueil de ses empreintes digitales et le refus étant pénalement réprimé. La relaxe n’anéantit pas l’existence d’indices graves et concordants de participation au début de l’enquête.
 
La Cour de cassation valide et rappelle que l’article 55-1 du Code de procédure pénale « réprime le refus, par une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques nécessaires à l’alimentation et à la constitution des fichiers de police, en particulier à la prise de ses empreintes digitales ». Puis suite à la décision de la CEDH du 18 avril 2013 (CEDH K. C. France, 18 avr. 2013, Requête n°19522/09) qui estimait que les modalités de collecte et de conservation des données prévues en France étaient insuffisantes, le décret n° 2015-1580 du 2 décembre 2013 a exclu le relevé d’empreintes digitales en matière contraventionnelle, limité la durée de conservation et prévu leur effacement du fichier en cas de non-lieu, relaxe ou acquittement.
 
Au regard de ces dispositions, la Cour de cassation a jugé que :
  • « l’obligation, pour une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit, de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales, de même que la sanction prévue en cas de refus, ne constituent pas une ingérence excessive dans le droit au respect de sa vie privée et familiale, reconnu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme » ;
  • et la relaxe de l’infraction à l’occasion de laquelle le relevé a été effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre au prélèvement.
 
 
Une violation de l’article 38 modifié par la loi du 3 avril 1955 ?
Le commissariat de police représenté par le commissaire de police s’est constitué partie civile et a notamment réclamé à la prévenue l’indemnisation des dégradations causées au commissariat. Le tribunal correctionnel déclare cette constitution recevable mais, ayant relaxé cette prévenue, il rejette les demandes indemnitaires présentées contre elle. La cour d’appel a validé ce jugement.
 
Mais pour la Cour de cassation, la cour d’appel a méconnu l’article 38, modifié par la loi n°55-366 du 3 avril 1955. Ce dernier prévoit que « toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée, à peine de nullité, par ou contre l’agent judiciaire de l’Etat ».
 
Ainsi, « en admettant ainsi la recevabilité de la constitution de partie civile du commissariat de police, alors que l’exercice de l’action civile au nom d’un service de l’État est réservé, en l’absence de disposition particulière de nature législative, à l’agent judiciaire de l’Etat, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ».
 
L’arrêt rendu par la cour d’appel est donc cassé et annulé mais en ses seules dispositions civiles, « les dispositions pénales demeurant expressément maintenues ».
 
Source : Actualités du droit